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AP- Interruption volontaire de grossesse (IVG) autorisée jusqu’à douze semaines lorsqu’elle est susceptible d’aggraver ou d’occasionner une situation de détresse matérielle, éducationnelle, professionnelle ou morale. Le sujet est évidemment sensible. Mais en modifiant la loi relative à la santé sexuelle et à la reproduction et introduisant ces nouvelles dispositions, le gouvernement et les députés n’avaient pas imaginé l’ampleur des réactions. Ils doivent aujourd’hui affronter une véritable levée de boucliers de l’opinion publique contre l’avortement, même si certains tentent de soutenir la légitimité de cette loi.

Un accès très restrictif sur le continent africain

Le Bénin avait déjà légalisé l’IVG, sous conditions. Par une loi adoptée en 2003, l’avortement était autorisé lorsque la grossesse était la conséquence d’un viol ou d’une relation incestueuse ou en cas de risque pour la vie de la femme enceinte. Mais cette loi adoptée le 21 octobre dernier élargit le champ, rallonge les limites aux candidates. Désormais au Bénin, on a le droit d’interrompre une grossesse jusqu’à douze semaines, soit trois mois, lorsqu’on le souhaite. Même s’il y a des conditions : lorsque la grossesse est susceptible d’aggraver ou occasionner une situation de détresse matérielle, éducationnelle, professionnelle ou morale. Avec cette loi, le Bénin rejoint le cercle très fermé des pays africains ayant franchi ce cap sensible de la légalisation de l’avortement : Tunisie, Afrique du Sud, Cap-Vert, Mozambique et Zambie, conformément à la convention de Maputo signée ou ratifiée par 52 pays. En revanche, certains pays y sont farouchement opposés, les cas du Congo, du Sénégal et de la Sierra Leone, qui ont d’ailleurs des lois en contradiction avec le protocole de Maputo.

Les justifications du ministre de la Santé

« L’acte qui est posé doit être perçu comme une mesure de santé publique dont l’unique objectif est de sauver des vies humaines [?] Cette mesure vient soulager les peines de nombreuses femmes qui, face à la détresse d’une grossesse non désirée, se trouvent obligées de mettre leur vie en jeu par des pratiques d’interruption de grossesse dans des conditions non sécurisées », a tenté de justifier le ministre de la Santé, Benjamin Hounkpatin, ajoutant que « plusieurs familles continuent de pleurer la perte d’un enfant, d’une épouse, d’une mère partie tragiquement à la suite d’un avortement compliqué. Ces blessures sont irréparables. Pourtant, on peut bien éviter ce drame qui se joue sous nos yeux ».

Selon les statistiques officielles, elles sont environ deux cents femmes à perdre la vie par an au Bénin des suites de complications liées à l’avortement, souvent pratiqué dans la clandestinité. Cette loi, pour certains, est donc un cadre légal pour pratiquer l’IVG dans des conditions sécurisées. En Afrique, plus de 8 millions d’avortements auraient lieu chaque année, dont les trois quarts dans des conditions non sécurisées, selon une fiche d’information de l’ONG américaine Population Reference Bureau. À en croire les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les risques d’infection et de mortalité à la suite d’un avortement clandestin restent parmi les plus élevés au monde, et seulement 3 % se feraient dans des conditions médicalisées et sûres pour les femmes.

Les partisans de l’IVG, une minorité

Pour Ibrahim Ousmane, de l’Association béninoise pour la promotion de la famille (ABPF), une ONG qui a longtemps milité pour la modification de cette loi, « les femmes n’avaient pas accès à un avortement sécurisé quand bien même elles remplissaient toutes les conditions [?] D’ailleurs, depuis que la loi existe, cela n’a pas eu d’influence sur la diminution du taux de décès maternel. Il est toujours très élevé, le nombre de décès lié à l’avortement est toujours resté stagnant ».

Présidente de Femmes engagées pour le développement (FED-ONG), Raïmath D. Moriba félicite le gouvernement qui, par cette loi, dit-elle, vient de restaurer la dignité de la femme en République du Bénin. « La loi doit être vue comme une cause d’utilité publique, car de nombreuses femmes perdent la vie du fait du caractère clandestin que revêt parfois l’acte d’avortement. Il était urgent de légaliser ce fait, afin de lui apporter un encadrement juridique adapté », insiste-t-elle.

« Nous sommes heureux pour cette nouvelle loi qui vient d’être adoptée au Bénin. Car elle permettra à la femme béninoise de disposer un peu plus de droits sur son corps. Elle peut aujourd’hui décider de garder ou non une grossesse jusqu’à son terme si son état physique ou psychique le permet. C’est une grande avancée en ce qui concerne la promotion des droits de la femme », commente Emmanuelle Akinicho, féministe et présidente de l’association Femmes libres.

Comme Ibrahim Ousmane, Raïmath Moriba ou Emmanuelle Akinicho, ils se comptent tout de même sur le bout des doigts, les Béninois favorables à cette loi légalisant l’avortement, si ce ne sont des responsables de structures luttant pour la cause féministe.

Levée de boucliers au sein de l’opinion

Sur un continent et dans un pays encore ancrés dans la tradition, c’est le contraire qui aurait étonné. Permis d’avorter, autorisation de tuer, légalisation de la débauche? C’est ainsi que les opposants à cette loi résument la situation. C’est à une véritable levée de boucliers que l’on assiste. La figure de proue de cette réprobation, c’est évidemment l’Église catholique. Quels que soient les justificatifs, elle n’hésite pas à dresser un parallèle entre la « légalisation de l’avortement » et « la culture de la mort ». Monseigneur Eugène Cyrille Houdekon tient au « respect du caractère sacré de la vie, surtout celle de l’innocent ». La Conférence épiscopale croit dur comme fer qu’il existe des « alternatives honnêtes et fiables pour remédier aux maux que l’on entend solutionner par la légalisation de l’avortement ».

Même au sein du corps médical appelé à mettre en ?uvre l’acte d’IVG, on n’est pas forcément consentant. Il ne faudrait en tout cas pas compter sur le professeur Francis Dossou, président du Conseil national de l’Ordre national des médecins du Bénin, pour ce faire, gêné qu’il est par sa conviction de chrétien et sachant que « la vie commence dès la conception et qu’il faut la protéger ». Il entend même ramer à contre-courant de la mise en ?uvre de cette loi : « Je ferai tous les efforts nécessaires pour convaincre la femme enceinte de garder sa grossesse, mais c’est son corps et la loi l’en rend responsable. »

L’opinion générale se dresse contre cette légalisation de l’avortement. C’est même la colère qui se ressent dans les réactions. « On ne peut jamais autoriser un avortement. Alors on envoie les petites filles de 12-13 ans s’adonner au sexe librement, ce n’est pas bon. Nos filles là, c’est maintenant qu’elles vont s’adonner au sexe, parce qu’elles savent qu’une fois tombées enceintes, elles iront avorter librement. C’est officiel maintenant. L’avortement, c’est un acte criminel. Le médecin même qui avorte est un criminel. Il y a des fois, tu ne vas plus jamais concevoir à cause de cet avortement que tu as fait. Tu ne sais pas si l’enfant que tu as avorté serait un président de la République, ou un ministre ; tu l’as tué librement. Maintenant on officialise ça encore », râle Jean-Marie Houessou, activiste des droits humains, et d’interpeller le président Patrice Talon : « Mon cher président Talon, ne promulguez jamais cette loi. Il faut jeter ça dans les caniveaux. »

Pascal Houeto, futur grand-père, dont la fille étudiante, âgée de 19 ans, est enceinte, ne décolère pas : « Nous sommes tombés bas, il n’y a plus d’autres termes ; je suis déçu et j’ai honte d’être béninois. Sur le plan international, c’est une honte. Nous sommes des Africains après tout, et Béninois ! Ils ne doivent en aucun cas légaliser l’avortement. Le bébé qui va naître, est-ce qu’on sait ce qu’il fera pour le Bénin demain ? »

Au demeurant, et comme le pressent l’analyste politique béninois Joël Atayi-Guèdègbé, l’application de cette loi ne sera pas une sinécure, au regard de la fronde qui s’organise déjà.