« La lutte contre les groupes armés et l’insécurité ne sauraient être un prétexte pour restreindre les libertés de la presse et les droits des citoyens d’accès à l’information. L’expulsion des correspondantes des journaux Libération et Le Monde, et la suspension de la chaîne de télévision France 24 marquent un tournant inquiétant de violation du droit à la liberté d’expression par les autorités » déclare Samira Daoud, Directrice régionale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre à Amnesty International.
Le vendredi 31 mars, Agnès Faivre et Sophie Douce, respectivement correspondantes des journaux Libération et Le Monde avaient été convoquées à la Sûreté d’État, l’agence chargée du renseignement intérieur pour s’expliquer sur leur travail dans le pays et particulièrement sur un article de Libération pointant la responsabilité des forces armées et des volontaires pour la défense de la partie – force auxiliaire de l’armée, dans l’enlèvement de sept individus du site de déplacés de la Ferme (Ouahigouya) et leurs exécutions extrajudiciaires en février 2023.
Le 1er avril, les deux correspondantes ont été sommées de quitter le pays sous 24 heures sans qu’aucun motif d’expulsion ne leur soit notifié mais sur ordre verbal des agents de la direction de la sureté de l’Etat burkinabè.
« Expulser des journalistes pour avoir fait leur travail d’information et sans document officiel motivant cette mesure est abusif. Nous demandons aux autorités de rétablir les journalistes dans leurs droits et de leur permettre de continuer leur travail sur le sol burkinabè » déclare Samira Daoud.
« Il incombe aux autorités de veiller à ce que les médias puissent faire leur travail librement et de protéger les journalistes. »
Le 27 mars 2023, les autorités avaient décidé de couper la diffusion de France 24 sur son territoire, à la suite d’une interview du chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), un contenu contesté par les autorités taxant la chaîne de télévision de faire l’apologie du terrorisme. En décembre 2022, un autre média du même groupe, Radio France Internationale (RFI), subissait le même sort. RFI était notamment accusée d’avoir relayé « un message d’intimidation » attribué à un « chef terroriste ». Amnesty International rappelle que relayer des informations diffusées par un groupe ou un individu considéré comme menaçant la sécurité nationale n’est pas un motif valable de restriction du droit à la liberté d’expression.
Ces expulsions et interdictions abusives sont accompagnées de menaces et d’attaques contre les journalistes perpétrées à la fois par les autorités et d’autres individus.
Au lendemain des expulsions des correspondantes des journaux Libération et Le Monde, une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux accusait trois journalistes burkinabè Lamine Traoré (Radio Omega), Hyacinthe Sanou (Studio Yafa) et Boukary Ouoba (Association des journalistes du Burkina) de complicité avec les correspondantes Douce et Faivre dans une “manipulation déguisée en journalisme pour ternir l’image du pays”. Depuis le début de l’année 2023 et récemment en début mars, Alpha Barry, fondateur du premier média privé du Burkina Faso, Omega Médias, et l’un de ses journalistes Alain Traoré dit “Alain Alain”, ont été victimes de menaces via les réseaux sociaux et d’appels à incendier leurs domiciles. Leur média a déposé une plainte contre X le 26 mars. En décembre 2022, un membre d’un collectif pro-transition a appelé publiquement au meurtre de Lamine Traoré, journaliste du groupe Omega Médias et Newton Ahmed Barry, journaliste indépendant, ancien directeur de publication du journal d’investigation l’Evènement, en réaction à leur indépendance éditoriale.
Ces faits s’ajoutent aux nombreuses convocations de la presse nationale et internationale par le Conseil Supérieur de la Communication pour l’appeler à « ne pas jeter de l’huile sur le feu » selon les termes de son président Aziz Bamogo. Le 23 Mars 2023, le président Ibrahim Traoré a également émis des propos menaçants contre les journalistes : « Tous ceux-là qui pensent qu’ils sont cachés, à l’intérieur ou à l’extérieur, qui continuent d’informer, de communiquer pour l’ennemi, ils vont le payer ».
“Amnesty International rappelle aux autorités du Burkina Faso que le droit à la liberté d’expression et de la presse sont garantis par la Constitution burkinabè en son article 8, par l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples et l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques que le pays a ratifiés. ” a déclaré Samira Daoud.