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© SPUTNIK/AFP – Mikhail METZEL Vladimir Poutine

AP- La Russie a réalisé une percée spectaculaire sur le continent noir, notamment en Centrafrique. Elle va profiter de la dissolution de la force Barkhane au Sahel pour étendre un peu plus son influence au détriment de la France.

La décision d’Emmanuel Macron, le 10 juin, de dissoudre la force Barkhane au Sahel ouvre-t-elle un nouveau front russe en Afrique? Cette perspective est dans tous les esprits. Actuellement composée de 5.100 hommes, cette opération antiterroriste vient, depuis sa création en août 2014, en soutien aux armées de cinq pays de la sous-région (Burkina Faso, Mali, Niger, Mauritanie et Tchad).

Le dispositif de substitution annoncé par le chef de l’Etat doit faire passer les effectifs à 2.500 d’ici à 2023 avec une dominante de forces spéciales européennes pour des actions ciblées mais aussi la formation des armées locales, véritable serpent de mer africain. « Tels qu’ils existent, les programmes de formation des armées sahéliennes, notamment malienne et burkinabè, ont montré leur limite », explique le colonel Peer De Jong, ancien aide de camp de François Mitterrand et de Jacques Chirac, cofondateur de l’Institut Themiis dédié aux thématiques de paix et de sécurité. « De plus, les procédures et les dispositifs européens sont très lourds. Il faudra encore des années avant que ces armées soient réellement opérationnelles ».

De nombreuses personnalités africaines formées à Moscou

Pour combler le gap induit par cette reconfiguration à la baisse ,certains Etats, en tête desquels le Mali, devraient naturellement se tourner vers la Russie. « On ne peut s’empêcher de penser à un tel scénario sur le modèle centrafricain », juge Bruno Clément-Bollée, ex-commandant de la force Licorne en Côte d’Ivoire reconverti dans le privé au sein de la société Hippocampe Agency. « De nombreuses personnalités de la junte au pouvoir ont été formées à Moscou. La proximité est évidente ».

Une fenêtre d’opportunité d’autant plus évidente que la Russie se réinvestit partout sur le continent depuis plusieurs années après avoir observé un désengagement au lendemain de l’implosion du bloc soviétique. Les points d’ancrage existants durant la guerre froide sont tous réactivés. Des accords de coopération militaire ont déjà été signés avec une vingtaine de pays (République démocratique du Congo, Angola, Mozambique…). Une base militaire navale, la première du genre, se construit à Port-Soudan. D’autres accords viennent renforcer les relations économiques et la coopération en matière de nucléaire civil. Symboliquement, ce come-back s’est cristallisé autour du premier sommet Russie-Afrique à Sotchi, en 2019

L’objectif moins avouable de cette réimplantation est de tailler des croupières à la France dans sa zone d’influence. Une mission partiellement réussie en République centrafricaine, pays emblématique de la Françafrique qui accueillait autrefois deux bases militaires à Bouar et à Bangui. La Russie a déboulé dès 2016 concomitamment au retrait de la force Sangaris en s’appuyant sur son porte-voix: le groupe Wagner (ChVK). Fondée par Evgueni Prigojine, un intime de Vladimir Poutine, cette société paramilitaire déploie plusieurs centaines de mercenaires sur le terrain pour contenir les multiples groupes armés. Durant la présidentielle de décembre 2020 ces hommes, appuyés par des éléments rwandais et les Forces armées centrafricaines (Faca), ont empêché l’incursion de rebelles dans la capitale. Ils sécurisent par ailleurs les institutions (Assemblée nationale, ministères…) et forment la garde rapprochée de Faustin-Archange Touadéra. Sur toutes les questions sécuritaires le chef de l’Etat centrafricain est d’ailleurs conseillé par Valéry Zakharov. Cet ancien membre du renseignement russe dispose d’un bureau attitré au palais de la Renaissance, siège de la présidence.

Macron dénonce l’agenda de mercenaires

Se livrant une guerre d’influence, Russes et Français s’accommodent difficilement. La présence de Moscou s’accompagne de virulentes campagnes de dénigrement à travers la presse locale ou les réseaux sociaux grâce à l’animation de dizaines de comptes trollés. Un moyen de propagande utilisé de part et d’autre. Evoquant des « manipulations politiques »Facebook a démantelé, fin 2020, un réseau de faux profils « en lien avec l’armée française » pointant les bienfaits de la présence tricolore en Afrique.

Ce contexte a poussé Paris à suspendre, début juin, sa coopération militaire et ses appuis budgétaires avec la République centrafricaine, pays où ses intérêts sont désormais résiduels. La décision couvait depuis plusieurs mois. Au sommet sur la sécurité au Sahel organisé à Pau, début 2020, Emmanuel Macron, ulcéré, avait fustigé « les puissances étrangères et leur agenda de mercenaires » sur le continent.

Alors que la menace djihadiste s’intensifie au Sahel, un rapprochement avec le Mali constitue une alternative même si ce théâtre régional diffère nettement de celui de l’Afrique centrale. « Bamako peut être tenté d’actionner ce canal, mais on peut émettre des doutes quant à la capacité des Russes d’y répondre », explique la chercheuse Caroline Roussy, directrice du programme Afrique de l’Institut de Relations internationales et Stratégiques (IRIS). « La connaissance du terrain n’a pas forcément été réactualisée ».

A l’instar de la Guinée voisine, le Mali reste néanmoins le pays du bloc francophone africain le plus proche historiquement de Moscou. Au cours des deux dernières années, de nombreuses manifestations contestant la légitimité de Barkhane demandaient parallèlement à la Russie de s’investir dans la sécurité. L’Union soviétique fut un partenaire historique sous la dictature marxiste-léniniste de Moussa Traoré (1969-1991). De nombreuses personnalités militaires et politiques maliennes y ont été formées, comme l’ancien président de la transition et pilote d’hélicoptère, Bah N’Daw. Et le nouveau premier ministre, Choguel Kokalla Maïga, nommé le 7 juin, y a suivi des études de télécommunications.