
AP- Le soutien du Qatar envers l’islamisme pouvait laisser penser que Doha recevrait l’approbation unanime de ses partisans. Ce serait bien mal les connaître. Le Qatar a été vilipendé par un certain nombre d’islamistes convaincus que le pays jouait un « double jeu » : il aurait sacrifié la loi islamique à la Coupe du monde. Ces reproches illustrent les difficultés que rencontre le pays à séduire les islamistes occidentaux les plus zélés et rappellent que l’islamisme est loin d’être idéologiquement homogène.Le Qatar a pourtant profité de ce Mondial 2022 pour organiser des événements prosélytes [dawah].
Cette initiative n’a pas trouvé grâce aux yeux d’islamistes qui sont d’avis que les 220 milliards de dollars dépensés pour la Coupe du monde auraient été mieux employés pour lutter contre la pauvreté dans le monde ou le changement climatique. L’islamiste britannique Taji Mustafa, membre du mouvement Hizbut Tahrir, a exprimé sa lassitude en voyant le Qatar instrumentaliser la dawah afin de détourner l’attention de choses « illicites » telles que « l’alcool, les festivals de musique et le gaspillage de l’argent de la ummah [communauté] ».
Parmi les détracteurs les plus virulents du Qatar : Roshan Salih, éditeur du site d’informations britannique islamiste 5 Pillars. Roshan Salih a averti ses lecteurs de ne pas se « laisser berner par les gros titres annonçant que le Qatar interdit l’alcool » dans les stades, l’alcool étant largement disponible ailleurs. Selon lui, les Qataris jouent « double jeu comme d’habitude » et ont sacrifié « la loi islamique » à la Coupe du Monde.À LIRE AUSSI : « La FIFA et le Qatar auront réussi à étouffer le débat sur les travailleurs et les LGBT »D’après le compte Twitter Margarita, qui est suivi par nombre de salafistes occidentaux, le Qatar aurait interdit les drapeaux LGBT « non par zèle islamique » mais seulement par crainte de la réaction du peuple qatari.
Margarita a décrété que la Coupe du monde au Qatar avait été « humiliante », démontrant que le Qatar est prêt à dépenser des milliards pour cet événement « tandis que l’Afghanistan meurt de faim et que les combattants musulmans de par le monde sont négligés ».
Sorry to crush people’s excitement but Qatar didn’t ban LGBT flags out of Islamic zeal but out of fear of their people & were originally reassuring the world that Qatar welcomes & celebrates all people.And they’re serving alcohol during the world cup. They’re corrupt begs.— Margarita (@lassinatower) June 5, 2022 L’imam islamiste américain Shadee Elmasry, suivi par près de 60 000 personnes sur Twitter, a également exprimé son incompréhension par rapport à la décision du Qatar d’accueillir la Coupe du monde et de dépenser des milliards de dollars ainsi que du temps et de l’énergie « pour un jeu ».Jugement dernierQuant au mufti Abdullah Moola, qui s’adresse régulièrement aux musulmans américains et appartient à la très conservatrice secte sud-asiatique des Deobandis, il a exprimé sa fureur de voir Doha « promouvoir uniquement la version libéralisée de l’islam » qui plaît aux instances dirigeantes du football. Moola a expliqué que le Qatar ne méritait ni prière ni sympathie de la part de la « oumma musulmane ». Son collègue Bheria a renchéri sur le « militantisme islamique » supposé du Qatar telles les prises de position « contre la propagande LGBTQ + » ou pour la Palestine, qui cacheraient des problèmes plus sérieux dont les dépenses faramineuses de la Coupe du Monde pour « amuser les mêmes personnes qui ont bombardé des pays musulmans ».Un avertissement plus sombre a été émis par le très respecté Moinul Abu Hamza, imam islamiste britannique. Celui-ci, citant un hadith, a sous-entendu que les signes du Jugement dernier pouvaient se lire dans la construction d’édifices qataris. Il a également énuméré les fautes du Qatar : la mort de travailleurs migrants, la présence lors de la Coupe du monde de « sionistes brutaux » le coût de l’événement alors que « la oumma meurt de faim au Yémen, en Somalie et ailleurs » la licéité inattendue de l’alcool mais aussi la base militaire Al Udeid qui héberge des milliers de soldats américains.À LIRE AUSSI : Qatar 2022 : « Il faut une action mondiale pour sauver le football des griffes de la FIFA »Si l’islam comprend tant de points de vue et d’interprétations différentes, il en est de même pour l’islamisme. Ces réactions acrimonieuses ne sont évidemment pas représentatives, loin s’en faut, de tous les islamistes occidentaux. Aux Etats-Unis, la puissante United States Council of Muslim Organisation, une organisation qui rassemble différentes associations islamistes américaines et très proche du président turc Recep Tayyip Erdogan, a publié un communiqué dithyrambique félicitant le Qatar d’avoir « gagné, organisé et accueilli le meilleur tournoi en 92 ans d’histoire de la FIFA » et décrivant cette réussite comme « visionnaire » et « islamiquement exemplaire ».Compromissions qatariesCependant, le poids de ces critiques contre le Qatar ne devrait pas être sous-estimé. Elles indiquent que le soutien financier et idéologique du Qatar envers l’islamisme ne le préserve pas de tout reproche. Beaucoup d’islamistes sont frustrés par l’hypocrisie du Qatar qui, selon eux, brandit ses engagements islamiques mais est prêt à tout pour se frayer une place sur la scène internationale. Roshan Salih qualifie avec mépris le Qatar d’« allié occidental clef ».À LIRE AUSSI : Mondial 2022 : « Le Qatar a déjà réussi son pari »Le Qatar restera certainement l’un des principaux mécènes des islamistes occidentaux mais ne bénéficiera pas d’une loyauté inconditionnelle. Notons d’ailleurs que la fameuse mosquée de Mulhouse, financée par le Qatar et qui était censée comprendre piscine et salle de sport, a récemment été couverte d’opprobres après avoir accueilli un événement jugé non islamique. Selon ses accusateurs, le Centre An-Nour serait une « crypto-mosquée » . Ce sont peut-être les hautes attentes des islamistes par rapport au Qatar et aux moyens financiers dont le pays dispose qui expliquent ce courroux contre les compromissions qataries.