AP- Une centaine de pays, représentant 85 % des forêts du monde, se sont officiellement engagés, mardi, lors de la COP26, à enrayer la déforestation d’ici à 2030. Parmi les territoires concernés : la forêt boréale du Canada, la forêt amazonienne mais aussi la forêt d’Afrique centrale. Longtemps épargnée, celle-ci fait désormais face à de plus en plus de pressions. Deux millions d’hectares y sont déboisés chaque année. Décryptage.
C’est la première grande annonce des dirigeants présents à la COP26. Une centaine de pays se sont solennellement engagés, mardi 2 novembre, à enrayer la déforestation d’ici à 2030 dans le monde. Dans la liste de leurs objectifs : protéger la forêt amazonienne mais aussi la forêt d’Afrique centrale, souvent surnommée le « deuxième poumon de la planète ».
Après l’Amazonie, ce massif forestier est la deuxième forêt tropicale du monde en superficie. Grand de près de 200 millions d’hectares, il s’étale sur pas moins de six pays. Quelque 60 % de sa superficie se trouvent en République démocratique du Congo. Les 40 % restants sont partagés entre le Cameroun, la République du Congo, le Gabon, la République centrafricaine et la Guinée équatoriale.
« Cette forêt joue un rôle primordial dans la lutte contre le réchauffement climatique », affirme Maxime Réjou-Méchain, climatologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
« Aujourd’hui, les forêts d’Asie du Sud-Est rejettent davantage de CO2 qu’elles n’en absorbent. En Amazonie, les études tendent à montrer que nous sommes à l’équilibre. Le seul endroit où la forêt absorbe encore davantage de CO2 qu’elle n’en rejette, c’est en Afrique centrale. » Et le scientifique de résumer : « Cela veut dire qu’aujourd’hui, cette forêt est le dernier vrai puits de carbone de la planète. »
Une forêt sous pression démographique
Jusqu’aux années 2010, ce massif a été épargné. « Le territoire était faiblement peuplé et les infrastructures étaient peu développées », explique auprès de France 2 Alain Karsenty, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et spécialiste de l’Afrique centrale. Mais aujourd’hui, la déforestation y est galopante. On estime que deux millions d’hectares sont détruits chaque année. Au total, dix millions ont été déboisés entre 2015 et 2020.
La République démocratique du Congo est largement pointée du doigt. À lui seul, en trente ans, le pays a perdu 20 % de ses forêts humides, soit presque autant que le Brésil, selon les chiffres du Joint Research Center (JRC) européen.
En cause, une pression démographique de plus en plus importante entraînant une explosion de l’exploitation des ressources. « C’est l’un des pays d’Afrique, voire du monde, où l’augmentation de la population est la plus forte », rappelle Alain Karsenty. Selon les derniers recensements, le pays compte 90 millions d’habitants en 2021, contre à peine 50 millions en 2000. Et cette population devrait encore doubler d’ici à 2050.
En comparaison, dans les pays voisins, où la pression démographique est moindre, la déforestation est moins rapide. Au Gabon, 2 millions d’habitants et un territoire recouvert à 90 % par des forêts, la perte de couverture forestière est estimée à 2,5 % en trente ans.
« Or, contrairement à l’Amazonie ou à l’Asie du Sud-Est où la déforestation est principalement due à l’agriculture industrielle, avec des forêts entières remplacées par des champs d’hévéas ou de soja, en Afrique centrale, elle vient essentiellement de l’agriculture sur brûlis et de l’exploitation de charbon de bois », poursuit le chercheur. « C’est-à-dire de pratiques qui sont nécessaires à cette population pour vivre. »
L’agriculture sur abattis-brûlis est un mode de fonctionnement agraire qui consiste à défricher des parcelles par le feu. Celles-ci sont ensuite utilisées pour la culture de subsistances avant d’être laissées en friche. Mais avec la pression démographique, de plus en plus de zones doivent être exploitées.
« Malgré tout, l’exploitation minière ou encore l’agriculture industrielle viennent aussi jouer un rôle dans cette déforestation, même si ce ne sont pas des facteurs majeurs », nuance Maxime Réjou-Méchain. « C’est notamment le cas au Cameroun, où on observe de plus en plus de champs de cacao, notamment, à la place des forêts. »
Tous les pays d’Afrique centrale ont déjà pris des engagements pour protéger la forêt, notamment en multipliant les aires protégées et les réserves. Malheureusement, face à l’insécurité de certaines zones et à des problèmes de gouvernance politique récurrents, ces dernières restent mal gérées et soumises à une exploitation illégale du bois ou à des activités de braconnage.
Investir et transformer les pratiques
Pour pallier la déforestation, Alain Karsenty appelle avant tout à « investir massivement » pour « transformer les pratiques ». « Il faut aider les paysans à se former à de nouvelles pratiques pour sortir de l’agriculture sur brûlis. Il faut les accompagner de façon à ce qu’ils améliorent leurs rendements de façon réfléchie et écologique en occupant moins de territoire. » Une position partagée par Maxime Réjou-Méchain : « Il faut aller vers d’autres pratiques, pourquoi pas vers l’agroforesterie, qui permettrait de diminuer la destruction des terres. »
L’autre levier majeur se situe dans les pays du Nord. L’économiste se dit favorable à une taxe sur des produits issus de la déforestation et à la mise en place d’un système de rémunération des pays en fonction de la qualité de leur politique environnementale.
D’un point de vue environnemental, Maxime Réjou-Méchain milite, quant à lui, pour travailler à réunifier la forêt. « Aujourd’hui, la forêt se trouve fragmentée à cause des activités humaines. Il faut créer des corridors pour reconnecter des espaces », explique-t-il. « Cela permettrait aux espèces animales et végétales de continuer à se déplacer et, par là même, de préserver la biodiversité », insiste-t-il.
À la COP26, les États se sont engagés à mobiliser 19,2 milliards de dollars (16,5 milliards d’euros) sur plusieurs années pour enrayer la déforestation. Un nouvel engagement qui fait écho à la Déclaration de New York sur les forêts de 2014, quand de nombreux pays, entreprises et peuples autochtones s’étaient engagés à diviser par deux la déforestation en 2020 et d’y mettre fin en 2030.
Vingt-huit pays représentant trois quarts du commerce mondial de matières premières susceptibles de menacer les forêts, comme l’huile de palme et le cacao, ont aussi souscrit à une déclaration pour agir de manière plus équitable et transparente. Enfin, plus de 30 institutions financières comme Aviva ou Axa se sont, elles, engagées à ne plus investir dans les activités liées à la déforestation.