Le chiffre 13 semble avoir rythmé la vie de Just Fontaine. Il était d’ailleurs fier d’habiter au 13 d’une petite rue du quartier des Chalets, à Toulouse (Haute-Garonne). Son record de 13 buts s’affichait partout chez lui : les innombrables coupures de presse conservées par Arlette ? sa femme depuis 1965 ? la couverture de Paris Match, le fusil de chasse offert en Suède en 1958 et le Soulier d’or, récompensant le meilleur buteur d’un Mondial, qu’il a reçu en 2014 des mains de Ronaldo et de Michel Platini. Avec le temps, les récompenses et les remerciements ne se sont jamais taris. Just Fontaine aimait rappeler qu’il recevait chaque semaine entre vingt et trente lettres du monde entier. L’ex-attaquant s’en amusait, lui qui appréciait tant son quotidien au bord de la Garonne où il disposait de deux magasins Lacoste, entre les parties de cartes avec ses amis et les matches de foot regardés avec ses petits-enfants. Quand on lui demandait quels joueurs actuels il appréciait, « ?Justo? » confiait avoir un faible pour Lionel Messi et, chez les Bleus, pour Hugo Lloris.
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Une enfance « heureuse et ensoleillée »
Mais ses vraies idoles, c’étaient Larbi Ben Barek, le « Pelé marocain » ? joueur à Marseille, au Stade français et à l’Atlético Madrid ? et Mario Zatelli, un Algérien qui a longtemps fait le bonheur de l’OM. Comme eux, Just Fontaine est né de l’autre côté de la Méditerranée, à Marrakech en 1933. À l’époque, le Maroc était encore un protectorat. Il eut une enfance « heureuse et ensoleillée », disait-il, au côté d’un père fonctionnaire à la Régie des tabacs et d’une mère qui s’occupe de sa grande famille (sept enfants).
Très tôt, le petit Just apprend le football dans une cour d’église ombragée par les eucalyptus. Il passe son bac à Casablanca avant de devenir champion d’Afrique du Nord avec l’US Marocaine. L’attaquant est repéré par Nice alors qu’il n’a pas vingt ans. Il remporte la Coupe de France en 1954 et le championnat deux ans plus tard. Mais que vaut le football alors que la France fait face aux « événements » d’Algérie? ? Just Fontaine n’est pas épargné : il passe ses trente mois de service militaire au bataillon de Joinville, n’est « libéré » pour rejoindre son équipe qu’à la veille des matches. Il aurait même pu être envoyé en Algérie si l’un de ses frères n’y avait pas été.
Just Fontaine en 1958 lors du match France-Allemagne de l’Ouest, gagné 6-3.
122 buts en six saisons à Reims
Enfin démobilisé, il rejoint le Stade de Reims en 1956 où il prend la place de Raymond Kopa, parti briller au Real Madrid. Sur un terrain, Kopa est un chef d’orchestre. Fontaine, lui, brille par son sens du but : en six saisons, il en marque 122, terminant à deux reprises meilleur buteur de première division. L’attaquant découvre les Bleus en 1956 au côté de Kopa ? « mon frère aîné » disait « Justo » ? lors d’une défaite face à la mythique équipe hongroise de Puskas dont il s’agit d’une des dernières apparitions avant le soulèvement populaire de Budapest. La Coupe du monde 1958 offre aux internationaux un répit inespéré alors que la IVe République vit ses derniers mois. Les Bleus n’ont pas la pression ? ils n’ont plus gagné depuis sept mois ? et ils se hissent jusque dans le dernier carré.
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À leur retour dans l’Hexagone, les héros du Mondial se font ensuite les porte-parole d’une grogne lancinante chez les joueurs, qui pouvaient être vendus à l’époque par leurs présidents sans leur consentement. Just Fontaine, qui a toujours le tempérament bagarreur de ses années lycée (il avait été renvoyé pour « chahut »), fonde le syndicat des joueurs, l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP), en 1962. On le traite de communiste. Il poursuit le combat et finit par obtenir gain de cause : en 1972, les autorités acceptent le principe d’un contrat limité dans le temps et déterminé avec l’accord des footballeurs, qui bénéficient ainsi d’une plus grande liberté de mouvement entre les clubs.
Des buts au banc
La fin de la carrière de Just Fontaine est marquée par les blessures : une double fracture en 1960 à Sochaux, une autre un an plus tard. Il aurait pourtant aimé poursuivre sa carrière quelques saisons de plus. Son amour du jeu est intact, à la différence des autres « héros de Suède », et il décide d’embrasser une carrière d’entraîneur. Éphémère sélectionneur en 1967 (remplacé après deux défaites en matches amicaux), l’ex-attaquant prend les rênes du PSG pendant trois ans (1973-1976) et contribue à faire remonter le club en première division.
Just Fontaine officie ensuite une saison à Toulouse et trois à la tête de l’équipe marocaine, qui termine 3e de la CAN en 1980. Just Fontaine quitte ensuite les terrains pour retrouver un quotidien paisible à Toulouse au côté de sa femme, Arlette, présente lors de tous les combats. Quand on le rencontrait, il se plaisait à raconter les anecdotes qui ont jalonné sa carrière. Et à revenir sur son record des 13 buts en une seule Coupe du monde.