La rébellion d’Evgueni Prigojine contre l’armée russe ne cesse de prendre de l’ampleur. Tandis que Vladimir Poutine accuse le patron de Wagner de trahison, ce dernier reproche à Moscou d’avoir abandonné l’Afrique, où ses troupes se battent en Centrafrique et au Mali.
Samedi 24 juin dans l’après-midi, des mouvements de troupes de Wagner continuaient d’être signalés sur le territoire russe. Les autorités de la région de Lipetsk, située à environ 400 kilomètres de Moscou, ont ainsi fait état de déplacements de mercenaires fidèles à Evgueni Prigojine. La situation reste selon elle sous contrôle mais les habitants ont été priés de ne pas quitter leur domicile.
Un peu plus tôt, Vladimir Poutine s’était exprimé sur la situation. Le président russe a accusé Evgueni Prigojine de « trahison » lors d’une allocution télévisée, décrivant un « coup de couteau dans le dos de notre peuple et de notre pays ». « Ceux qui ont consciemment choisi la voix de la trahison vont être punis très rapidement », a-t-il ajouté.
On se battait en Afrique parce qu’on nous avait dit qu’on avait besoin de l’Afrique. Et, après ça, ils l’ont abandonnée
Le patron de Wagner, qui a assuré avoir pris plus tôt dans la journée le contrôle de l’état-major de l’armée russe de Rostov, a aussitôt répondu, via ses habituels canaux de communication, notamment des chaînes Telegram. Il a notamment accusé le pouvoir russe, en particulier le ministère de la Défense de Sergueï Choïgou, de trahison en ce qui concerne l’Afrique.
« Ils ont volé tout l’argent »
« On se battait en Afrique parce qu’on nous avait dit qu’on avait besoin de l’Afrique. Et, après ça, ils l’ont abandonnée. Ils ont volé tout l’argent qui devait être utilisée pour aider les pays africains », a dénoncé Evgueni Prigojine. Ces dernières semaines, il avait multiplié les dénonciations du même acabit, accusant la hiérarchie militaire russe de priver ses hommes de munitions et de moyens.
La joute verbale a tourné à l’affrontement alors que le patron de Wagner a accusé, le 23 juin, l’armée d’avoir bombardé ses mercenaires, faisant plusieurs victimes. L’administration nie toute implication, mais Prigojine est fermement décidé à prendre le contrôle de l’appareil militaire, en utilisant, selon ses dires, jusque’à 50 000 hommes pour « libérer le peuple russe ». « On ira jusqu’au bout. On détruira tout ce qu’ils mettront sur notre route », a-t-il assuré sur Telegram.
Le parquet général russe a annoncé avoir ouvert une enquête pour « mutinerie armée » à l’encontre d’Evgueni Prigojine, tandis que les déclarations de Vladimir Poutine semblent marquer un point de non-retour. « Tant que l’affrontement se limitait à des échauffourées entre Prigojine et Choïgou, Poutine pouvait le supporter, voire l’utiliser pour asseoir sa domination. Mais la situation actuelle va beaucoup plus loin », analyse un spécialiste de la Russie contacté par Jeune Afrique.
Menace à la toute-puissance de Poutine
« Même si Prigojine vise avant tout l’armée et le ministère de la Défense, c’est aussi l’image de la toute-puissance de Poutine qu’il menace », ajoute cette source. Plusieurs affrontements entre troupes wagnériennes et armée régulière russe ont d’ores et déjà été rapportés, tandis que des rumeurs de défection de certaines unités militaires au profit de Wagner ont également commencé à circuler.
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La situation est suivie de près sur le continent africain, où les hommes de Wagner sont particulièrement implantés au Mali et en Centrafrique. Jusqu’ici, les hommes d’Evgueni Prigojine prenaient en effet soin de faire coïncider leurs intérêts avec ceux de la diplomatie civile et militaire russe. La rébellion du patron de Wagner et la nécessité pour Vladimir Poutine de montrer qu’il maîtrise encore la situation pourraient changer la donne et obliger Bamako et Bangui à prendre des distances avec Prigojine afin de conserver leur alliance avec Moscou.