En effet, Il y a une grande ironie politique à constater en France. Le grand bras de fer syndical et politique que livre l’opposition à Emmanuel Macron sur les retraites est en train d’installer Marine Le Pen, icône de l’extrême droite, comme l’inévitable alternative pour la prochaine présidentielle.
De manière si évidente que deux sondages successifs ont montré que si une course à l’Elysée est organisée aujourd’hui, Marine Le Pen battrait Emmanuel Macron à plate couture et deviendrait la première femme présidente de la République. Morale de l’histoire, ce que Laurent Berger, patron de la CFDT, appelle « crise démocratique » et qui a provoqué l’ire du président Macron, a manifestement cassé l’épais plafond de verre qui traditionnellement empêchait la famille Le Pen d’accéder au pouvoir en France.
En fait, ce plafond de verre a commencé à fondre depuis les dernières élections législatives. Pour la première fois, le rassemblement national mené par Marine Le Pen avait réussi l’exploit inédit de faire rentrer au parlement un groupe massif de députés. Et signe évident que cette évolution majeur a été décisive dans la marche du Rassemblement National, Marine Le Pen avait fait le choix de laisser la direction du parti à son jeune poulain Jordan Bardella et de consacrer ses efforts à diriger le groupe parlementaire du parti.
Est venue ensuite la crise de la réforme des retraites. Une aubaine pour Marine Le Pen. Elle en a profité pour installer dans l’opinion l’image d’un nouveau personnage composé de plusieurs palettes. Elle consacre sa tendance à être la première opposante à Emmanuel Macron. Le choix du bombardement politique massif et régulier de la gouvernance de Macron et le vote systématique de toutes les motions de censure contre le gouvernement d’Elisabeth Borne ont fait d’elle une incontestable opposante au locataire de l’Elysée.
Parallèlement à cette stratégie, Marine Le Pen a tenté de se distinguer de ce qui est apparu comme des outrances commises par les députés de la France insoumise et de ce qui a été perçu comme des opérations de blocage excessives commises par la nouvelle alliance de la gauche. Dans cette tension politique et le brouhaha médiatique qui l’a accompagné, Marine Le Pen est apparue comme une modérée qui retient sa parole agressive et une sage qui prend ses distances avec des postures de radicalité et de rupture.
Pour Marine Le Pen, cette séquence est venue couronner ses nombreuses tentatives de « dédiaboliser » et de « désataniser » l’image de son parti dont le corpus idéologique était verrouillé sur un héritage de racisme, de xénophobie et d’antisémitisme qui le rendait infréquentable pour de nombreux Français et qui faisait de son accession au pouvoir local ou national une mission impossible.
La nouveauté aujourd’hui est que ces réticences et ses freins sont en train de tomber pour offrir une forme de normalité au Rassemblement National, le parti dont les dirigeants s’offusquent à la moindre allusion à leur appartenance à l’extrême droite. Sur ce terrain aussi, Marine Le Pen voudrait provoquer une révolution sémantique qui enterre son passé d’extrême droite. Elle préfère utiliser le concept politiquement correct et presque inoffensif de droite nationale pour se distinguer de la droite républicaine.
Un autre élément de réflexion politique qui permet tous les rêves à Marine Le Pen. De par la constitution, Emmanuel Macron ne pourra pas se présenter pour un troisième mandat. En face, la droite républicaine est encore convalescente pour enfanter un leadership capable de lui tenir la dragée haute. Quant à la gauche dans son ensemble, les contradictions idéologiques, la guerre fratricide des égos, rendent presque impossible l’apparition d’un chef capable d’incarner une alternative à Emmanuel Macron et à Marine Le Pen.
Seule ombre au tableau dans cette idylle politique que semble vivre Marine Le Pen sur fond de crise des retraites, l’absence totale de son parti et de ses militants dans les nombreuses et énormes manifestations de rue que les syndicats organisent pour protester contre la réforme des retraites d’Emmanuel Macron.
Cette même absence qui fait dire à certains que Marine Le Pen a choisi de faire de l’opposition parlementaire plutôt que l’opposition de rue. Mais elle révèle aussi un point essentiel, un défaut de profondeur sociale et syndicale d’un parti qui aspire à endosser les plus haute responsabilités de l’Etat.
Un handicap majeur qui peut participer à relativiser cette brusque ivresse de pouvoir qui vient de saisir le Parti de Marine Le Pen et transforme ses ambitions actuelles en une simple illusion d’optique du moment, difficile à réaliser quand viendra le temps des élections et des choix qui décident de l’avenir de la France.