Depuis jeudi, de violentes manifestations ont éclaté à Dakar, la capitale, et dans plusieurs grandes villes du pays suite à la proclamation du verdict du procès de l’opposant Ousmane Sonko, condamné à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse ». Colère, peur, indignation et lassitude semblent être les sentiments les mieux partagés parmi les Sénégalais interrogés sur cette situation inhabituelle qui menace de diviser la cohésion nationale.
Deux ans de procédure judiciaire, un dossier de 471 pages et un verdict, 72 heures de manifestations et 16 morts, c’est le bilan d’un feuilleton politico-judiciaire qui a tenu tout un pays en haleine. L’épilogue d’une procédure ouverte en mars 2021 suite à la plainte pour viol et menaces de mort de l’ex-masseuse, employée d’un salon de beauté à Dakar, Adji Sarr, contre l’opposant Ousmane Sonko, président des Patriotes africains du Sénégal pour l’éthique, le travail et la fraternité (Pastef). Le verdict, prononcé le jeudi 1er juin 2023, condamne le candidat à la présidentielle de février 2024 à deux ans de prison ferme pour « corruption de jeunesse », le rendant ainsi inéligible, a littéralement mis le feu à Dakar et à Ziguinchor mais aussi dans d’autres villes du pays.
L’éducation ébranlée par ces trois jours de « chaos »
De violentes manifestations, accompagnées de scènes de pillage et de saccages d’infrastructures de l’État notamment des bâtiments administratifs ont été notés entraînant des mesures fermes des autorités. Dès le lendemain des troubles, les campus des universités ont été fermés, le train express régional (TER) mis à l’arrêt du fait de l’incendie d’une de ses gares. Dakar a pris des allures de ville assiégée et plusieurs artères de la capitale, jonchées de pierres, de pneus et d’ordures calcinées portent encore les stigmates de trois jours de « chaos » comme certains journaux ont titré
Face à cette situation, beaucoup de Sénégalais ont préféré se confiner volontairement, craignant pour leur sécurité et celle de leurs enfants dont les écoles ont pour la plupart fait parvenir des messages invitant leurs parents à les garder à la maison. Pour Ndeye M., enseignante dans un établissement public et parent d’élève préférant garder l’anonymat, « c’est une situation qui risque de perturber les enfants car cela crée une cassure dans leur rythme de travail et la reprise sera d’autant plus difficile, alors qu’ils sont déjà fatigués par une année scolaire qui se termine dans deux ou trois semaines pour la majorité ». Malgré ces « vacances forcées », c’est compliqué de les faire étudier à la maison sans compter le stress engendré et vécu aussi bien du côté des élèves que de leurs parents », explique notre interlocutrice. Autre crainte évoquée, si la situation perdure, les compositions voire les examens pourraient être reportés, ajoute l’enseignante. « Avec l’approche de la fête de la tabaski (28 ou 29 juin), certains parents risquent même de ne plus emmener leurs enfants à l’école ».
Du côté des enseignants, certaines réticences pourraient également se faire sentir si l’année scolaire se prolonge du fait d’un éventuel report des examens notamment les épreuves du Certificat de fin d’études élémentaires (CFEE) pour l’entrée au collège, sont déjà fixées pour le 21 juin prochain. « Par le biais de leurs syndicats, les enseignants pourraient ne pas se plier aux nouvelles dates et négocier une contrepartie avec l’État, en se disant que ce retard est le fait d’une situation dont ils ne sont nullement responsables », avertit l’institutrice, qui espère néanmoins un retour à la normale.
Jusqu’à nouvel ordre
Les conséquences pourraient être plus graves du côté de l’enseignement supérieur car les campus des universités de Dakar, Ziguinchor, Saint-Louis, Thiès et Bambey ont été fermés « jusqu’à nouvel ordre ». Les étudiants ont été priés de plier bagage afin de regagner leurs domiciles respectifs suite aux violents heurts ayant occasionné les saccages de plusieurs bâtiments administratifs, de restaurants et de véhicules dont le bus des étudiants du Cesti, l’école de journalisme à Dakar. « Nous sommes en pleine période de révision car nous devions démarrer les examens le 12 juin prochain », renseigne cet étudiant de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD)
Hors de toute obédience politique, A. Dieng, consultant en énergies renouvelables, exprime de son côté son ras-le-bol, teinté de colère, car, selon lui, « l’État n’est pas responsable de la situation ». Indexant le camp de Ousmane Sonko et de ses partisans qui, selon lui, pensent avoir le monopole de la parole et de la vérité. « C’est toi qui as appelé à la lutte et on attaque les maisons des uns et des autres », fustige l’homme, la quarantaine entamée.
D’après lui, il faut que l’État montre son pouvoir et applique son autorité dans toute sa rigueur. « Il y a un minimum de respect et de considération dus au président de la République car c’est avant tout une institution. » À tous ceux qui tiennent des propos irrévérencieux à l’encontre de Macky Sall, lui réplique que certaines personnes qui n’ont aucun fait de gloire car n’ayant jusqu’ici rien fait pour leur pays devrait s’abstenir de pareils propos. Faisant état de cas de viols perpétrés par certains manifestants sur des femmes trouvées sur leurs lieux de travail, notamment certains restaurants restés ouverts, il dénonce cette violence physique et cette volonté de saccager les magasins, les supermarchés, de dévaliser les maisons, etc.