
AP- Des images satellites d’Airbus Intelligence, analysées par les algorithmes de Preligens, montrent l’avancée rapide de la construction d’une base de Wagner près de l’aéroport de Bamako. Les mercenaires russes se sont également installés à Sofara, au centre du pays.
Peu à peu, Wagner tisse sa toile au Mali, et ça commence à se voir. Des images satellites d’Airbus Intelligence, dévoilées en exclusivité par Challenges, montrent l’avancée rapide des travaux de construction d’un camp de la société paramilitaire russe sur un terrain jouxtant l’aéroport de Bamako, au sud des pistes. L’existence de ce camp avait été évoquée pour la première fois le 23 décembre par une source gouvernementale française. « On constate aujourd’hui des rotations aériennes répétées avec des avions de transport militaire appartenant à l’armée russe, et des installations sur l’aéroport de Bamako permettant l’accueil d’un chiffre significatif de mercenaires », indiquait cette source. La présence de Wagner au Mali a été dénoncée fin décembre par les partenaires occidentaux du pays dans la lutte contre les groupes armées terroristes, et confirmée le 21 janvier par le général Stephen Townsend, commandant de l’Africom, le commandement unifié qui coordonne les activités militaires américaines sur le continent africain. La présence de Wagner est toujours démentie par la junte au pouvoir,
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Vue satellite de la base supposée de Wagner sur l’aéroport de Bamako, prise le 2 janvier 2022. Cliquer pour agrandir (image Airbus Intelligence, détection Preligens)
Les images satellites d’Airbus, prises le 2 janvier dernier par un satellite Péiades et analysées par la pépite française de l’intelligence artificielle Preligens, confirment l’existence de ce camp, dont la construction semble avancer rapidement. Le terrain, désertique au début de l’année 2021, a vu les premiers terrassements à l’automne, et l’installation d’une grosse dizaine de tentes en novembre. L’image la plus récente montre de nouvelles installations sur les flancs ouest et sud-est du site, avec une demi-douzaine de véhicules civils. « Les structures sur la gauche de l’image pourraient correspondre à des baraquements en dur venant petit à petit remplacer les tentes, indique Aurélien Debièvre, responsable marketing produit chez Preligens. L’installation en croix sur le bas de l’image pourrait être une place d’armes, même s’il est impossible de se prononcer avec certitude. »
Vues satellites du site le 5 avril 2021 et le 2 janvier 2022. Le terrain, désertique au départ, a été terrassé à l’automne 2021, et les premières tentes sont apparues en novembre. le spécialiste de l’IA Preligens détecte de possibles constructions en dur à gauche, et ce qui ressemble à une place d’arme en bas de l’image (images Google Earth / AIrbus Intelligence)
450 mercenaires au Mali
Cette base semble servir de point d’entrée aux mercenaires de Wagner déployés au Mali, qui seraient désormais, selon nos sources, environ 450. Les paramilitaires et une partie de leurs équipements ont été, selon nos informations, déployés dans des avions de l’armée de l’air russe Tupolev 154M et Iliouchine 76, qui ont multiplié les rotations vers Bamako depuis la fin de l’automne. Un des avions utilisés, un Tu-154M immatriculé RA-85042, a notamment desservi Bamako le 20 décembre dernier. L’appareil est bien connu des services de renseignement occidentaux : rattaché à l’unité 223 de l’armée de l’air russe, il a régulièrement été utilisé ces dernières années pour les déploiements de troupes de Wagner. Le rapport d’un panel d’experts de l’ONU sur la Libye, publié en mars 2021, indiquait que l’appareil avait relié à plusieurs reprises la ville libyenne de Benghazi, où Wagner est actif, et la base militaire russe de Lattaquié (Syrie) en janvier 2020. Depuis, le Tupolev a été repéré en octobre 2021 à Bangui (Centrafrique), où la société paramilitaire est très active. Après son passage à Bamako le 20 décembre, il est à nouveau passé par Benghazi, puis Damas.
La base de Wagner à l’aéroport de Bamako a également vu un impressionnant déploiement d’engins militaires en toute fin d’année 2021. Le 24 décembre, le Monde évoquait l’arrivée sur le site de « quelques camions de transports de troupes » et d’ »une soixantaine de véhicules blindés : certains de fabrication chinoise, d’autres s’apparentant à des Typhoon de fabrication russe ». Ces informations sont corroborées par les images aériennes obtenues par Challenges, datées de la troisième semaine de décembre. Celles-ci montrent des dizaines de camions et blindés alignés à proximité du camp de Wagner.
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Vue aérienne de blindés russes à proximité de la base de Wagner sur l’aéroport de Bamako, la troisième semaine de décembre. Cliquer pour agrandir (photo source locale / Challenges)
Les blindés Typhoon, probablement issus d’un don des Emirats arabes unis aux pays du G5 Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso, Mauritanie, Tchad), ont, depuis, été repérés dans la région de Ségou, à 230km à l’est de Bamako, selon des photos publiées début janvier par RFI. « Le camp de Bamako a servi de point de départ au déploiement des blindés Typhoon dans le centre du Mali, où Wagner est désormais en opérations », assure-t-on de très bonne source à Challenges.
Implantation à Sofara
Pour soutenir leur offensive dans le centre du pays, les paramilitaires russes se sont notamment installés, selon nos informations, sur une base militaire des forces maliennes à Sofara, dans la région de Mopti. Le site est hautement symbolique : le camp de Sofara est le QG du Bataillon autonome des forces spéciales et des centres d’aguerrissement (BAFS-CA), l’unité que commande le colonel Assimi Goïta, nouvel homme fort du pays depuis le putsch de mai 2021. Les analystes de Preligens ont analysé les données des satellites radars (SAR) couvrant la zone, et repéré de nombreuses arrivées de véhicules à la toute fin de l’année 2021. « Après une absence quasi-totale d’activité pendant six mois, le site a connu un pic d’activité entre le 27 décembre et le 5 janvier », indique Aurélien Debièvre.
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Image satellite de la base de Sofara, où Wagner serait implanté, prise le 17 janvier par un satellite Pléiades d’Airbus. Inactif ou presque durant l’année 2021, le site a connu une activité importante fin décembre. Cliquer pour agrandir (image Airbus Intelligence, détection Preligens)
Le calendrier cadre parfaitement avec le premier accrochage connu des mercenaires de Wagner avec des groupes armés terroristes sur le théâtre malien. Un convoi des forces maliennes, soutenu par des mercenaires russes, avait été attaqué le 3 janvier par des djihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaïda. Au moins un paramilitaire russe aurait été blessé, avec plusieurs morts côté malien et du côté des jihadistes. Cette altercation a eu lieu à seulement quelques dizaines de kilomètres du site de Sofara, mais aussi de deux autres implantations récentes de Wagner, à Mopti et Sévaré. Wagner serait aussi présent à Ségou, ainsi qu’à Tombouctou, ville dont Barkhane vient récemment de quitter la base militaire. « Les personnels russes présents à Tombouctou semblent plutôt être des instructeurs de l’armée russe en appui des forces maliennes, plus que des mercenaires de Wagner », explique-t-on de bonne source à Challenges.
Pourquoi ce déploiement sur le centre du pays ? Jusqu’à présent, cette zone avait été délaissée par le pouvoir central malien, qui en avait délégué la sécurisation à des milices locales. Les militaires Français de Barkhane et les forces spéciales des pays européens de la force Takuba n’y mettent guère les pieds non plus : ils focalisent leurs efforts sur la zone dite des trois frontières (Mali, Burkina Faso, Niger), située à plusieurs centaines de kilomètres plus au nord. « Avec ce déploiement de Wagner dans le centre du pays, l’objectif de la junte malienne est peut-être d’obtenir quelques victoires militaires, même limitées et partielles, pour justifier son maintien au pouvoir », estime un très bon connaisseur de la région.
Désastre au Mozambique
Wagner va-t-il finir par monter plus au nord, sur le même terrain que Barkhane ? Le scénario n’est pas exclu à l’hôtel de Brienne. « Si Wagner opérait dans notre zone, on ne pourrait pas continuer », reconnaissait-on au ministère des armées le 10 janvier. Ce genre de ligne rouge est à prendre avec précaution : la France avait affirmé fin 2021 que l’implantation de Wagner au Mali entraînerait le départ de Barkhane. Force est de constater que cela n’a pas été le cas.
Une chose est sûre : Wagner aurait beaucoup à perdre à se risquer dans une zone aussi complexe et difficile que le nord-Mali. La mort d’un soldat français, le brigadier Alexandre Martin, samedi 22 janvier lors de l’attaque au mortier contre la base française de Gao, a montré que ce terrain est plus que jamais miné. « Si 15.000 militaires de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) et 5.000 soldats de Barkhane n’arrivent pas à sécuriser le nord Mali, ce ne sont pas 500 mercenaires de Wagner y vont y parvenir », estime Olivier Guitta, directeur général de GlobalStrat, un cabinet de conseil en risque géopolitique et sécuritaire. Qui rappelle le bilan calamiteux d’une opération de Wagner lancée, un peu à la hussarde, au Mozambique en 2019. La société avait dû quitter le pays au bout de quelques semaines, après avoir essuyé de lourdes pertes.