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Le long de l’allée poussiéreuse, des visages nouveaux apparaissent dans l’entrebâillement des portes. A Arlit, cité minière de la région d’Agadez dans le nord du Niger, l’arrivée massive de migrants de toute l’Afrique de l’Ouest a fait exploser la population.

Le long de l’allée poussiéreuse, des visages nouveaux apparaissent dans l’entrebâillement des portes. A Arlit, cité minière de la région d’Agadez dans le nord du Niger, l’arrivée massive de migrants de toute l’Afrique de l’Ouest a fait exploser la population.

Derrière les murs de terre, des femmes et des jeunes filles, originaires du Nigeria pour la plupart, pudiquement qualifiées de « femmes libres ». En réalité, des prostituées qui opèrent au su de tous dans un pays à plus de 98% musulman où ce voisinage nouveau laisse perplexe.

« La cohabitation avec les non-musulmans, c’est un peu difficile, surtout avec ces femmes libres. C’est ce qui fait la mauvaise réputation de cet endroit », concède Issa, un commerçant du quartier.

« On n’a de problème avec personne ici », répond Nadya, prostituée mère de deux enfants. « Je fais ça pour eux, j’ai vraiment besoin d’argent », souffle cette trentenaire aux joues barrées par un tatouage traditionnel.

Depuis plusieurs années, la région d’Agadez subit un afflux massif de populations. Migrants refoulés d’Algérie et originaires de toute l’Afrique de l’Ouest, ressortissants des pays limitrophes attirés par les gisements d’or et Nigériens venus du sud du pays, ont fait doubler la population des villes en dix ans, selon les autorités.

« Le budget des collectivités territoriales ne supporte pas les besoins supplémentaires en termes d’assainissement ou d’infrastructures scolaires, c’est au-delà de nos prévisions budgétaires », alerte le maire de la ville d’Arlit, Abdourahamane Mouali« Mais puisque ces migrants sont là, il faut faire avec eux, ne serait-ce que d’un point de vue humanitaire », estime cet élu.

Devant le centre de transit d’Arlit, géré par l’Organisation internationale des migrations (OIM), Ickbal et Yasmine attendent leur tour. Ces fiancés togolais ont contourné les postes frontières où s’entassent des milliers de refoulés et se retrouvent sans documents d’identité. Le centre est déjà plein et prend en charge les nouveaux venus par ordre de vulnérabilité.

« On n’a pas d’endroit où dormir, pas à manger, c’est très difficile », souffle cet étudiant. « Je demande de la nourriture à nos frères nigériens pour pouvoir donner à ma fiancée. Nous sommes bien reçus, mais demander à chaque fois, c’est dégoûtant », soupire-t-il.

Nœud de passage historique entre le Maghreb et le Sahel, la région d’Agadez est réputée pour sa tradition d’hospitalité. Mais la montée de l’insécurité y suscite des tensions nouvelles.

Bien qu’aucune statistique ne permette de relier ce phénomène à l’arrivée massive des étrangers dans la région, le sentiment éprouvé par les habitants, lui, est bien réel.

Sur la route de l’enfer, « pas facile de faire une semaine sans une attaque armée. Les migrants, ils nous laissent tranquilles, ils respectent même la loi plus que les Nigériens ! Ce sont les chercheurs d’or qui causent des problèmes », assure le commerçant Issa.

Les gisements d’or attirent les réseaux criminels dans cette région désertique sise entre les frontières de pays instables, à quelques centaines de kilomètres des zones d’activité des groupes djihadistes.

« Nous avons seulement deux postes de contrôle sur 2 000 km de frontière, et nous ne sommes pas assez riches pour surveiller avec des moyens aériens », précise Magagi Maman Dada, le gouverneur de la région.

« Pour l’heure la région est stable, mais on ne sait pas combien de temps ça va durer », s’inquiète Ibrahim Rixa Issa, 2ème vice-président du conseil régional.

Principale organisation internationale sur le terrain, l’OIM investit dans des actions dites de « stabilisation » au profit des communautés locales : forages, infrastructures d’hygiène, activités génératrices de revenus…

Mais les flux ne cessent d’augmenter et les centres de transit sont déjà saturés. Par rapport à 2021, « le nombre de migrants bloqués au Niger demandant l’assistance de l’OIM a augmenté de 35% en 2022, avec plus de 17 000 migrants aidés par l’Organisation », affirme l’OIM.

Dans le même temps, les financements des bailleurs internationaux sont en baisse, selon les autorités locales. « Depuis un an, tous les projets sont en train de fermer. On nous met dans une situation inconfortable vis-à-vis de nos populations », fustige Ibrahim Rixa Issa.

En 2015, le Niger avait acté la ratification de la convention de Palerme en se dotant d’une loi qui criminalise toute assistance rémunérée au passage illégal des frontières et au séjour en situation irrégulière sur le territoire nigérien.

Le texte, qui visait à abolir les réseaux de « passeurs », a abattu tout un pan de l’économie de cette région isolée. Pourtant, pour les autorités et leurs administrés, la solution consiste à intégrer une partie de ces étrangers dans l’économie locale.

« Mettre fin à cette situation, ce serait de l’utopie. Mais ce qui est important, c’est d’exploiter les opportunités qui peuvent s’offrir », conclut le maire d’Arlit.