AP- Fondé en 1992 par le Chinois Li Jinyuan, TIENS group se présente, en partie, comme une entreprise spécialisée dans la vente de produits de santé. Aujourd’hui, le groupe affirme être présent dans plus de 200 pays, dont le Sénégal. Mais les méthodes utilisées par cette compagnie pour prospérer semblent assez floues. L’entreprise s’inspire d’un système de vente pyramidale. Un procédé qui n’est pas sans conséquences pour les « adhérents ». Seneweb a tenté de faire la lumière sur les méthodes sombres de ces vendeurs de rêves.
Une tendance qui gagne du terrain au Sénégal surtout auprès des jeunes. Il s’agit de la méthode TIENS. Une société spécialisée dans la vente de produits diététiques. Le fondateur Li Jinyuan est considéré comme un philanthrope qui ne lésine pas sur les moyens quand il s’agit de faire plaisir à ses employés. Le patron chinois offre très souvent des voyages à ses employés pour les récompenser de leurs efforts. Le groupe est implanté au Sénégal depuis plusieurs années par le Béninois, Evrard Sossoukpe. Le nom de la compagnie a connu un léger « lifting » (pour attirer davantage, NdlR) et se dénomme à présent : « Tiens Destination Succès ».
« J’ai une opportunité à te présenter, viens à une de nos conférences d’information », c’est par ces simples mots que des personnes sont invitées à rejoindre le groupe TIENS à son siège sis à la VDN. La campagne d’enrôlement se fait aussi bien physiquement que virtuellement sur les réseaux sociaux tels que WhatsApp, Facebook… Et les activités de l’entreprise ne sont pas clairement énoncées lors de ces campagnes de séduction. Le groupe se contente simplement de mettre des titres aguicheurs tels que : « opportunité à saisir ».
Le but de cette manœuvre est de créer « le suspens », comme le fondateur le dit. Une fois sur les lieux, les prospects sont réunis dans une salle de conférence pour la fameuse séance d’information qui, en réalité, est un véritable show. Au cours de ce spectacle de haute facture, c’est le fondateur Evrard Sossoukpe himself qui assure l’ambiance. Pendant une heure, il va mettre son éloquence à contribution pour galvaniser ses « leaders » (qui le considèrent comme leur mentor) et tenter de convaincre les « invités » à rejoindre la société. Des pauses de danses sont observées au cours de cette rencontre pour souffler. Mais le clou du spectacle est la remise d’enveloppes d’argent (bien mis en évidence) aux adhérents de Tiens.
La partie immergée de l’iceberg
« Ceux qui sont prêts et qui avancent seront célébrés par leur statut, par leur bonus », lance le fondateur à l’auditoire. Ces sommes varient en fonction de la productivité de ses employés. L’entreprise affirme que son principal fonds de commerce est la vente de produits naturels « bons pour le corps » mais, ce n’est que l’arbre qui cache la forêt. En effet, l’entreprise compte sur la venue constante de nouveaux adhérents pour faire tourner le business.
Ces derniers doivent s’acquitter d’une somme que l’on pourrait qualifier de frais d’inscription, de 160 000 FCFA. Le groupe Tiens justifie cette dépense en donnant des produits de « bien-être » à vendre. Par la suite, les adhérents doivent s’acquitter d’un versement mensuel de 40 000 FCFA. Et c’est là toute l’étrangeté de ce business. Il s’agit du système de Ponzi ou Pyramide de Ponzi, qui est un montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer les investissements des clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants.
Concrètement, si vous souhaitez percevoir vos gains, vous devez atteindre le niveau 5, les 2 personnes que vous avez parrainées doivent être au niveau 4, leurs 4 filleuls doivent être au niveau 3 et les 8 filleuls de ces derniers doivent tous être au niveau 2. En somme, Seuls ceux qui sont tout en haut de la pyramide bénéficient des revenus.
« Tout se cache dans l’invitation, tout le secret de réussite dans ce que nous faisons, c’est d’inviter au maximum » livre Evrard Sossoukpe à la salle lors d’une de ces séances d’information. « On subit une formation de vente spécialement conçue pour ses produits. Et c’est au fur et à mesure que tu gravis les échelons par rapport à tes ventes et les personnes que tu auras réussi à convaincre à intégrer l’entreprise. Mais je ne me suis rendu compte qu’il s’agissait d’une supercherie que plus tard » confie Amadou, chauffeur de car rapide, qui au temps, alors qu’il était au chômage, avait succombé à l’appel de Tiens mais a laissé tomber par la suite en se « rendant compte de l’arnaque ». Et ils sont nombreux à penser comme Amadou.
Le groupe Tiens interdit d’exercer au Togo
Implantée dans plus de 200 pays, la société est fortement présente en Afrique. Au Togo, Tiens a connu des débuts fracassants mais très vite, la population a déchanté. « J’avais un problème de loyer. Je devais compléter 50 000 FCFA sur mes trois mois de caution. J’en ai parlé à un ami qui m’a dit d’aller retirer mes trois mois d’avance restante pour l’investir dans « Tiens » et qu’il me promet qu’après six mois je serai en possession de ma propre voiture », propos d’un étudiant rapportés par le site internet togolais Lomé Gazette.
Le groupe Tiens n’étant pas le seul à exercer dans ce domaine au Togo et suite aux nombreuses plaintes de sa population, le gouvernement de Faure Gnassingbé a décidé de prendre les devants pour stopper la prolifération de ces sociétés. « Je tiens à informer la population que ces structures exercent en toute illégalité et ne sont pas autorisées à collecter des fonds auprès du public contre des titres de capital ou de placement. Elles proposent des gains mirobolants et flatteurs pour susciter l’engouement de la population à ces produits, l’exposant ainsi à un risque élevé de perte de l’épargne constituée durant tant d’années d’efforts », évoque le communiqué du ministère de l’Economie et des Finances du Togo publié le 29 mars dernier.
Mais quelques jours après cette mise en garde, le groupe Tiens a défié le gouvernement togolais en organisant dans la capitale une cérémonie de remise de voitures et de téléphones portables à ses adhérents.
Tiens, « à la limite de la légalité »
Retour au Sénégal. La pyramide de Ponzi, bien que définie comme un système frauduleux, n’est pas punie par la loi sénégalaise. L’une des raisons de cette impunité semble être la somme versée à l’inscription qui est justifiée par l’octroi de produits diététiques donnés aux adhérents. Un camouflage qui leur permet de passer entre les mailles de la justice.
« Cette société est à la limite de la légalité. Si on se réfère au code pénal, on y verra sûrement des faits qui coïncident avec quelques infractions, pas plus. Cette pratique n’est pas clairement condamnable. Si un tel cas venait à être soumis au juge, l’on se référerait à son avis », explique le professeur Iba Barry Kamara juriste, enseignant chercheur à l’UCAD.
Si le système Ponzi n’est pas condamnable aux yeux de la loi, les victimes ont tout de même un recours. Comme évoqué plus haut, le groupe Tiens n’énonce pas clairement les tâches des futurs adhérents avant de les enrôler. Ils cultivent la curiosité et l’envie pour parvenir à leurs fins. « Il y a dans ce cas une réticence dolosive. C’est-à-dire que lorsqu’un employeur cache des informations importantes qui auraient pu influer sur votre décision d’adhésion de contrat. Et à ce moment, le contrat doit-être annulé et la somme payée au départ doit être restituée », souligne Me Baboucar Ndoye. Mais, en plus de cette sanction civile, la décision peut évoluer en devenant une sanction pénale, si le juge considère qu’il y a abus de confiance.
Argent facile quand tu nous « Tiens » !
Malgré la difficulté de pouvoir tirer profit de ce système et les nombreux témoignages décrédibilisant le Groupe Tiens, les personnes de tous âges et de toutes catégories sociales s’y inscrivent toujours massivement. Mais alors, quelles pourraient-être les raisons de cet afflux croissant de la population ? « De nos jours, la mentalité évolue dans le fait de croire que l’essentiel est de s’enrichir à tout prix et le plus rapidement possible », analyse Gabi Sagna, sociologue. Une situation qui pourrait être la résultante d’un éclatement des fondements socioculturels parmi lesquels celui régissant la famille.
« Au temps, l’éducation des enfants n’était pas que la responsabilité des deux parents mais celle de toute la famille et même du voisinage. Mais aujourd’hui tel n’est plus le cas avec l’explosion des familles mononucléaires. A ce point, on peut ajouter le chômage endémique. C’est à mon avis tous ces facteurs qui font en sorte que les gens sont devenus plus vulnérables à ce genre de proposition », argue-t-il.
En somme, ces nouvelles méthodes sont vues comme des ascenseurs sociaux dans une société où la course effrénée aux richesses bat son plein. Un meilleur encadrement de la part de la société et surtout de l’Etat est souhaité pour tenter de contrer l’avancée de ce phénomène. Aussi, le sociologue plaide pour que des émissions préventives contre ce genre de situation soient diffusées et adaptées aux jeunes, tranche de la population qui est considérée comme la plus susceptible de flancher face à ces propositions.