Le régime du capitaine Traoré a décrété la mobilisation générale et recruté des forces supplétives de l’armée, envoyées en première ligne.
Le camp, situé à une dizaine de kilomètres de Ouahigouya, le chef-lieu de la région du Nord, a été « pilonné pendant plus d’une heure par plusieurs centaines d’assaillants, arrivés à moto et à bord de pick-up lourdement armés », souligne une source sécuritaire burkinabée. Une opération attribuée au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), la filiale d’Al-Qaida au Sahel.
Cette énième offensive d’ampleur des groupes djihadistes dans le Nord, région frontalière du Mali en proie à l’insécurité depuis le début de la guerre lancée par les groupes djihadistes contre le Burkina en 2015, illustre l’impasse sécuritaire dans laquelle se trouve la junte, arrivée aux affaires sur la base d’une promesse : faire mieux que ses prédécesseurs civils et venir enfin à bout de cette menace islamiste qui a déjà fait plus de 13 000 morts, selon l’ONG Armed Conflict Location & Event Data Project (Acled).
« Au charbon »
Engagé dans une stratégie de lutte antiterroriste offensive et milicienne, la junte dirigée par le jeune capitaine Traoré dit avoir recruté plus de 90 000 VDP depuis octobre 2022. Ces civils sont brièvement formés par l’armée avant d’être déployés sur le terrain, sous son contrôle. Le camp d’Aoréma, mis en place il y a quelques mois, était l’un des principaux centres de supplétifs du nord du pays. Un dispositif dont la localisation posait problème, selon la source sécuritaire citée plus haut : « L’armée dispose de deux camps, protégés, à l’intérieur de la ville de Ouahigouya. Pourquoi l’état-major n’a-t-il pas transféré l’un d’eux à Aoréma, au lieu d’installer les VDP dans cette zone périphérique insécurisée ? Ils sont envoyés au charbon à la place des soldats. »
D’après Tanguy Quidelleur, doctorant à l’Institut des sciences sociales du politique et spécialiste des conflits au Sahel, envoyer des forces supplétives civiles en première ligne est un moyen pour la junte de « rassurer un certain nombre de militaires, en leur montrant qu’il existe désormais une espèce de tampon, les VDP, entre eux et les groupes djihadistes », et ce dans un contexte où le régime du capitaine Traoré reste contesté au sein d’une armée fracturée par les deux putschs de 2022.
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Aussi, les VDP paient-ils un lourd tribut dans la lutte antiterroriste. Selon Acled, plus de 150 d’entre eux ont été tués depuis janvier lors d’affrontements avec des groupes islamistes. Alors que ces derniers ne cessent de progresser, au point de contrôler aujourd’hui plus de 40 % du territoire, les autorités ont annoncé la mobilisation générale jeudi, afin de « donner à l’Etat tous les moyens nécessaires » pour vaincre l’ennemi. Un décret qui leur permet de réquisitionner personnes et biens.
En parallèle, une opération « greniers vides » a été lancée pour renforcer l’équipement des soldats. Tous les militaires, actifs comme retraités, ont ainsi été appelés à céder leurs uniformes à leurs frères d’armes déployés sur le terrain. Début avril, le nouveau chef d’état-major, le colonel major Célestin Simporé, a annoncé une accélération de l’offensive de l’armée. Cette nouvelle opération, lancée conjointement avec l’armée malienne et baptisée « Kapidougou » (« la ruche » en langue mooré), mobilise actuellement près de 800 soldats.
« Cibles privilégiées »
En réponse au raid qui a ciblé le camp VDP d’Aoréma, le gouvernement a déclaré avoir déployé des renforts aériens ayant permis « de détruire une colonne terroriste qui tentait de s’exfiltrer ». Bilan annoncé : « Au moins 50 terroristes neutralisés. » Mais le lendemain, dimanche, à 50 km au sud-est, une nouvelle attaque à cette fois-ci visé le détachement militaire de Kongoussi, entraînant la mort de deux soldats et d’une vingtaine de djihadistes, toujours selon le gouvernement.
Les civils non armés sont fréquemment les premières victimes de ces assauts meurtriers. Les raids des 6 et 7 avril à Kourakou et Tondobi, proche de la frontière nigérienne, au cours desquels 44 villageois ont été tués, en est une nouvelle démonstration. « Armer massivement les populations pour les impliquer dans la lutte contre les groupes djihadistes fait des civils des cibles privilégiées de ces derniers, qui s’attaquent à eux en représailles », souligne le chercheur Tanguy Quidelleur.
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En novembre 2022, Jafar Dicko, le chef d’Ansaroul Islam, le groupe djihadiste le plus influent du pays, qui a prêté allégeance au GSIM, avait menacé de représailles les localités dont les habitants seraient tentés de combattre aux côtés de l’armée dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux. Le GSIM semble depuis avoir mis sa menace à exécution, accélérant le rythme et l’ampleur de ses opérations. L’ONG Acled lui attribue près de 230 attaques depuis le début de l’année, au cours desquelles plus de 770 personnes ont été tuées.
En face, l’armée et ses supplétifs civils sont quant à eux suspectés d’avoir tué plus d’une centaine de civils au cours de leurs opérations antiterroristes des quatre derniers mois, alimentant ainsi une spirale de violences. Plusieurs sources sécuritaires et humanitaires relèvent d’ailleurs que le raid djihadiste ayant visé les VDP et l’armée à Aoréma le 15 avril est intervenu suite à une « flambée des exactions de l’armée et des paramilitaires autour de Ouahigouya ».
« Stratégie d’implantation »
« Cela fait partie de la stratégie d’implantation des groupes djihadistes, analyse un humanitaire, spécialiste du nord du Burkina Faso. Attaquer les forces accusées d’exécutions extrajudiciaires permet aux terroristes de se poser en défenseurs des communautés locales et ainsi d’accélérer leurs recrutements. »
Depuis janvier, à Ouahigouya, au moins une dizaine de civils ont été tués par les soldats burkinabés et les VDP, toujours selon Acled. C’est dans un camp militaire situé à 35 km d’Aoréma qu’avait été tournée en février la vidéo montrant des enfants assassinés au milieu de soldats, comme l’avait révélé le quotidien Libération le 27 mars.
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En parallèle, les enlèvements de civils suspectés de collaborer avec l’ennemi se sont aussi multipliés. Selon nos informations, plusieurs Burkinabés, qui avaient été officiellement mandatés en 2022 par l’ancien président, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, pour engager le dialogue avec les groupes djihadistes dans le but de leur faire rendre les armes, ont disparu ces dernières semaines. Des rapts que leurs proches et plusieurs sources attribuent aux services de renseignement burkinabés. Contacté, le ministère de la sécurité n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde.